BATH RITUAL IN HAKONE : Le miroir du Merveilleux

Pascal Hecker,
Critique littéraire, Halle Saint Pierre - Paris

Cette série de photographies d’Olga Caldas est “désarmante”. Elle nous emmène à l’extrême limite du visible et de l’invisible et rejoint le monde mythique par ce rituel du bain qui plonge au cœur des sources chaudes : celles du désir.

La rencontre de la photographe, du modèle et du regardeur dégage un espace, une invite à aller au-delà des interprétations convenues, un désir érotique fort, une tension qui échappe à l’exhibitionnisme et au voyeurisme faciles.
Nous accédons à la beauté de ce qui aurait pu être pure sublimation ou déchaînement des pulsions sexuelles.

Il y a un cadre, celui de la photographie, et un cercle, celui du bain, qui renvoient à la fois à la purification et à une protection. Le modèle est protégé et peut entièrement se livrer au regard de l’autre. Sa vulnérabilité nous appelle à rendre les armes et déjoue toute tentative de possession morbide.

Un état de grâce traverse cette série qui nous délivre de la pesanteur du quotidien par un retour aux sources, un jeu entre les éléments, la nudité du corps, l’eau, la lumière, la végétation, et nous retrouvons la légèreté des métamorphoses : femme tantôt naïade, sirène, oiseau … une offrande du visible à l’invisible !

BATH RITUAL IN HAKONE : THE MIRROR OF THE WONDERFUL
Pascal Hecker, Literary Critic, Halle Saint Pierre - Paris

This series of photographs by Olga Caldas is “disarming.” It takes us to the extreme limit of the visible and the invisible, and it connects with the mythical world through this bathing ritual that plunges into the heart of hot springs: those of desire.

The encounter between the photographer, the model, and the viewer creates a space, an invitation to go beyond conventional interpretations, a strong erotic desire, a tension that escapes easy exhibitionism and voyeurism.
We access the beauty of what could have been pure sublimation or a release of sexual impulses.

There is a frame, that of photography, and a circle, that of the bath, both evoking purification and protection. The model is protected and can completely surrender to the gaze of the other. Her vulnerability calls on us to lay down our arms and foils any attempt at morbid possession.

A state of grace flows through this series, freeing us from the heaviness of everyday life through a return to the sources, a play between the elements, the naked body, water, light, and vegetation, and we rediscover the lightness of metamorphoses: woman sometimes as a naiad, a mermaid, a bird… an offering of the visible to the invisible!

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L’Érotisme
Pascal Hecker, mars 2025

L’érotisme et l’insatiable besoin de liberté chez l’enfant proviennent du même fond obscur ; ils apportent une pareille jubilation menacée de pénitence. Ils réclament la feinte, la ruse. (...) et c’est pourquoi l’érotisme, qui voudrait prolonger l’âge des émerveillements est traqué avec autant d’acharnement par ceux qui ne peuvent plus s’émerveiller.
-
André Hardellet, Le parc des archers

Chez Olga Caldas, l’érotisme omniprésent n’est jamais ostentatoire, il est vulnérable, soumis à des métamorphoses, il se cache, dans une cérémonie rituelle d’un bain japonais, dans la corolle d’une fleur, dans un »Rolleiflex » négligemment posé à l’emplacement du sexe et qui devient un œil ouvert sur le monde, dans l’entrecroisement étrange des branches d’un arbre en hiver qui tissent comme un sous-vêtement de dentelles sur un visage de femme ... Il faut retrouver un regard d’enfant, pour voyager dans ces photos et ressentir la curiosité jubilatoire, menacée d’une punition imaginaire, un attachement où les liens ne blessent pas, une excitation indicible que provoque la découverte des secrets enfouis dans
l ’intimité des corps et de la mémoire.

Olga Caldas ne se définit pas comme « photographe » - bien qu’indubitablement, elle le soit - , elle se situe en tant qu’artiste, elle aurait pu évoluer dans le monde théâtral, on perçoit chez elle, le plaisir de la mise en scène où l’érotisme n’est jamais synonyme de frivolité ou de laisser-aller, mais nécessite un cadre protecteur pour qu’il puisse se déployer dans toute son intensité, que ce soit celui de son jardin, espace secret et clos, ouvert cependant sur la nature ou les règles exigeantes qu’elle se fixe dans le creuset de son laboratoire intime. C’est à l’intérieur des limites qu’elle s’impose que tout se joue, avec le sérieux indéfectible de l’enfance , un enjeu bien loin de la futilité.

« Les arts sont destinés à ranimer en nous un feu que la société cherche à éteindre, à maintenir une flamme dont la place n’est pas sur les autels des temples mais dans la profondeur de notre chaire ».
- Pierre Mabille,


Eroticism
Pascal Hecker, Mars 2025

"Eroticism and the insatiable need for freedom in the child come from the same dark source; they bring a similar jubilation threatened by penance. They demand trickery, cunning. (...) And this is why eroticism, which seeks to prolong the age of wonder, is hunted with such determination by those who can no longer be amazed."
— André Hardellet, Le parc des archers

In Olga Caldas' work, the ever-present eroticism is never ostentatious; it is vulnerable, subject to metamorphoses, it hides, in a ritualistic Japanese bath ceremony, in the corolla of a flower, in a 'Rolleiflex' casually placed at the location of the sex, becoming an eye open to the world, in the strange intertwining of tree branches in winter, which weave like lace underwear over a woman's face... One must rediscover a child’s gaze to journey through these photos and feel the jubilant curiosity, threatened by an imaginary punishment, an attachment where the bonds do not hurt, an indescribable excitement evoked by the discovery of secrets buried in the intimacy of bodies and memory.

Olga Caldas does not define herself as a 'photographer' – although undeniably, she is – she positions herself as an artist. She could have evolved in the theatrical world, and one perceives in her a pleasure in staging, where eroticism is never synonymous with frivolity or neglect but requires a protective framework for it to unfold in all its intensity. Whether it is the one of her garden, a secret and enclosed space, yet open to nature, or the demanding rules she sets within the crucible of her intimate laboratory. It is within the boundaries she imposes on herself that everything unfolds, with the unwavering seriousness of childhood, a far cry from triviality.

"Arts are meant to rekindle within us a fire that society seeks to extinguish, to keep a flame whose place is not on the altars of temples but in the depth of our flesh." — Pierre Mabille


Couvrez ce sein que je ne saurais voir

Jean Jacques Sarfati 
Agrégé et Docteur en Philosophie, Paris


Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.



Chacun se souvient de la célèbre phrase de Molière dans Le Tartuffe ou l’Imposteur. Olga Caldas s’y heurte régulièrement, notamment, lorsque ses nus sont censurés sur les réseaux sociaux pour « indécence ». 

Eh oui ! Telle est notre époque : elle a mis la pornographie au rang d’industrie et, dans le même temps, elle prétend mettre un voile pudique sur la nudité de ceux qui s’exposent volontairement et qui nous rappellent que l’art est maîtrise, orfèvrerie, regard discret et délicatesse ! 

C’est à cette tartufferie pudibonde, à cette marchandisation des corps, cet amalgame récurent entre Éros, sensualité et pornographie que le travail d’Olga Caldas s’oppose. A ceux qui veulent condamner la beauté au nom d’une morale hypocrite, qui s’offusquent de voir un corps dans sa nudité et qui sacrifient la beauté à leur désir narcissique de puissance et de prétendu ordre, elle répond par l’art du nu et du beau. 

Car la beauté, comme l’imposture, n’a pas de frontière. Platon nous l’avait enseigné et Olga nous le rappelle. L’art peut nous conduire de la beauté des corps à la beauté tout court. 

Les nus d’Olga Caldas sont de vrais corps avec une âme, pas des marchandises ni des robots ou des esclaves. Ils jouissent de toute leur liberté d’être et c‘est ainsi qu’ils nous conduisent vers ce qu’il y a de beau en nous. Il nous éloignent de la volonté de puissance pour nous mener vers la faillibilité, la délicatesse et la bienveillance. 

Contempler un nu ce n’est, en effet, pas nécessairement être indélicat ou malveillant. Se mettre à nu, ce n’est pas nécessairement vendre son corps ou son âme ; c’est aussi souvent exposer ses failles, résister à l’aliénation et au contrôle qui pèse sur nos esprits et sur notre liberté d’expression. 

Or, tels sont les nus d’Olga Caldas, ils ne mènent pas au désir d’instrumentaliser le corps de l’autre, ni à la dissimulation du réel ou des véritables pensées. Ils ne sont pas marques du narcissisme et de l’hypocrisie.  Ils mettent toujours en évidence la fragilité, la vulnérabilité et la douceur de ses modèles. Ils nous rappellent qu’à l’imposture il est possible de répondre non par la dissimulation mais par l’acceptation de nos faiblesses, de nos limites et par la beauté singulière de l’autre. 

En effet, Olga dévoile cette beauté et cette différence car elle magnifie les corps sans tricherie, sans flagornerie et sans hypocrisie. 

Elle fait œuvre et ainsi son regard nous incite à voir ce qu’il y a de beau, de délicat et de fragile dans un sein, une courbure d’épaule ou la diaphane blancheur d’une peau qu’elle dévoile délicatement. 

Ce sein, elle ne le cache pas ! Au contraire, elle l’expose ; elle nous incite à le regarder, à voir en l’autre ce qu’il peut y avoir de profond et de léger, car profondeur et légèreté ne s’opposent pas. Ce n’est pas la légèreté qui est insoutenable c’est la superficialité. 

Exposer un nu, c’est également nous montrer qu’il faut apprendre à regarder l’autre autrement qu’avec l’avidité de celui qui veut dévorer son corps mais, au contraire, avec le souci de le préserver, de le protéger et de voir tout ce qu’il peut y avoir de beau et de fragile dans la nature. Exposer un nu, c’est nous rappeler la vie, qui ne confond pas le différent et le différend, car elle n’est que nuance et distinction pour celui qui sait la regarder sans coupables pensées. 

Or est coupable, non pas celui qui désire l’autre car le désir est naturel et il est l’essence même de la vie. Est coupable, celui qui tel le Cyclope dans l’Odyssée d’Homère a un œil sur le front et qui, n’ayant pas le recul nécessaire qu’offre cette avancée du visage, ne sait pas faire accueil à l’étrangeté, à la différence de l’autre ; ne sait pas être hospitalier envers lui et ne songe qu’à le dévorer, à en faire « sa chose », afin de mieux l’absorber. 

Olga Caldas nous offre ce recul et ce front qui ne fait pas front. Elle nous incite à méditer en nous plongeant avec certains de ses nus, comme ici, dans un bain d’eau douce et de vapeurs odorantes et il arrive même parfois, qu’en regardant ses photos, ces odeurs viennent à nous, sans nous enivrer, mais en berçant délicatement nos âmes blessées. 


Paris le 4 juillet 2024