MARIE MOREL, « LES DEUX OFFENSES »
PAR PASCAL QUIGNARD
Pourquoi ce souvenir propre à nous tous est-il mortifiant alors que son vestige, pour chacun d’entre nous, est ce corps, cet unique corps que la vie nous dispense, que nous soignons autant qu’il est possible, que nous choyons plus que tout autre corps : notre corps ? Notre plus intime abri ? Notre forme étrange ? Notre maison de chair, de crinière, de griffes et de peaux, aux fenêtres de douceurs ?
Pourquoi cette intime tendresse se transforme-t-elle en flagrant délit, puis en désapprobation, en délinquance, en épouvante, en culpabilité, en péché ?
Pourquoi cette mémoire est-elle dévaluée par l’apprentissage de la propreté individuelle puis dénigrée par la morale commune ?
Pourquoi cette commémoration est-elle pourchassée par la religion et ses recommandations rituelles ? Pourquoi sa manifestation est elle incriminée par la société entière et pour ainsi dire unanime ?
Pourquoi la reproduction de cette représentation est-elle prohibée par les lois que les différentes communautés et nations et continents édictent ?
Alors qu’il faudrait dire merci, nous nous voilons la face. Nous nous voilons le corps, le ventre, le torse, les deux fesses. Nous nous faisons un devoir de ne plus en dévoiler les vestiges devenus plus pâles, ni la relique génitale, ni le reflet, ni l’ombre, ni même l’image.
(extrait du livre)
Pascal Quignard « L’oeuvre censurée de Marie Morel ».
250 pages
Editions Regard-J’en suis bleue, 2009
En 2009, dans le catalogue de l’exposition monographique à la Halle Saint Pierre,
Pascal Quignard écrit à son sujet « Marie Morel est un des plus grands peintres vivants ».