Photo exposée à SALO XII par Laurent Quénéhen, commissaire et critique d’art, à l’école d’art Prép’Art - Paris 11.
OLGA CALDAS
BATH RITUAL IN HAKONE -JAPAN APRIL 2024
Pascal Hecker, critique littéraire, Paris
Cette série de photographies d’Olga Caldas est « désarmante ». Elle nous emmène à l’extrême limite du visible et de l’invisible et rejoint le monde mythique par ce rituel du bain qui plonge au cœur des sources chaudes : celles du désir.
La rencontre de la photographe, du modèle et du regardeur dégage un espace, une invite à aller au-delà des interprétations convenues, un désir érotique fort, une tension qui échappe à l’exhibitionnisme et au voyeurisme faciles.
Nous accédons à la beauté de ce qui aurait pu être pure sublimation ou déchaînement des pulsions sexuelles.
Il y a un cadre, celui de la photographie, et un cercle, celui du bain, qui renvoient à la fois à la purification et à une protection. Le modèle est protégé et peut entièrement se livrer au regard de l’autre. Sa vulnérabilité nous appelle à rendre les armes et déjoue toute tentative de possession morbide.
Un état de grâce traverse cette série qui nous délivre de la pesanteur du quotidien par un retour aux sources, un jeu entre les éléments, la nudité du corps, l’eau, la lumière, la végétation, et nous retrouvons la légèreté des métamorphoses : femme tantôt naïade, sirène, oiseau … une offrande du visible à l’invisible !
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Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Jean Jacques Sarfati
Agrégé et Docteur en Philosophie, Paris
Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
Chacun se souvient de la célèbre phrase de Molière dans Le Tartuffe ou l’Imposteur. Olga Caldas s’y heurte régulièrement, notamment, lorsque ses nus sont censurés sur les réseaux sociaux pour « indécence ».
Eh oui ! Telle est notre époque : elle a mis la pornographie au rang d’industrie et, dans le même temps, elle prétend mettre un voile pudique sur la nudité de ceux qui s’exposent volontairement et qui nous rappellent que l’art est maîtrise, orfèvrerie, regard discret et délicatesse !
C’est à cette tartufferie pudibonde, à cette marchandisation des corps, cet amalgame récurent entre Éros, sensualité et pornographie que le travail d’Olga Caldas s’oppose. A ceux qui veulent condamner la beauté au nom d’une morale hypocrite, qui s’offusquent de voir un corps dans sa nudité et qui sacrifient la beauté à leur désir narcissique de puissance et de prétendu ordre, elle répond par l’art du nu et du beau.
Car la beauté, comme l’imposture, n’a pas de frontière. Platon nous l’avait enseigné et Olga nous le rappelle. L’art peut nous conduire de la beauté des corps à la beauté tout court.
Les nus d’Olga Caldas sont de vrais corps avec une âme, pas des marchandises ni des robots ou des esclaves. Ils jouissent de toute leur liberté d’être et c‘est ainsi qu’ils nous conduisent vers ce qu’il y a de beau en nous. Il nous éloignent de la volonté de puissance pour nous mener vers la faillibilité, la délicatesse et la bienveillance.
Contempler un nu ce n’est, en effet, pas nécessairement être indélicat ou malveillant. Se mettre à nu, ce n’est pas nécessairement vendre son corps ou son âme ; c’est aussi souvent exposer ses failles, résister à l’aliénation et au contrôle qui pèse sur nos esprits et sur notre liberté d’expression.
Or, tels sont les nus d’Olga Caldas, ils ne mènent pas au désir d’instrumentaliser le corps de l’autre, ni à la dissimulation du réel ou des véritables pensées. Ils ne sont pas marques du narcissisme et de l’hypocrisie. Ils mettent toujours en évidence la fragilité, la vulnérabilité et la douceur de ses modèles. Ils nous rappellent qu’à l’imposture il est possible de répondre non par la dissimulation mais par l’acceptation de nos faiblesses, de nos limites et par la beauté singulière de l’autre.
En effet, Olga dévoile cette beauté et cette différence car elle magnifie les corps sans tricherie, sans flagornerie et sans hypocrisie.
Elle fait œuvre et ainsi son regard nous incite à voir ce qu’il y a de beau, de délicat et de fragile dans un sein, une courbure d’épaule ou la diaphane blancheur d’une peau qu’elle dévoile délicatement.
Ce sein, elle ne le cache pas ! Au contraire, elle l’expose ; elle nous incite à le regarder, à voir en l’autre ce qu’il peut y avoir de profond et de léger, car profondeur et légèreté ne s’opposent pas. Ce n’est pas la légèreté qui est insoutenable c’est la superficialité.
Exposer un nu, c’est également nous montrer qu’il faut apprendre à regarder l’autre autrement qu’avec l’avidité de celui qui veut dévorer son corps mais, au contraire, avec le souci de le préserver, de le protéger et de voir tout ce qu’il peut y avoir de beau et de fragile dans la nature. Exposer un nu, c’est nous rappeler la vie, qui ne confond pas le différent et le différend, car elle n’est que nuance et distinction pour celui qui sait la regarder sans coupables pensées.
Or est coupable, non pas celui qui désire l’autre car le désir est naturel et il est l’essence même de la vie. Est coupable, celui qui tel le Cyclope dans l’Odyssée d’Homère a un œil sur le front et qui, n’ayant pas le recul nécessaire qu’offre cette avancée du visage, ne sait pas faire accueil à l’étrangeté, à la différence de l’autre ; ne sait pas être hospitalier envers lui et ne songe qu’à le dévorer, à en faire « sa chose », afin de mieux l’absorber.
Olga Caldas nous offre ce recul et ce front qui ne fait pas front. Elle nous incite à méditer en nous plongeant avec certains de ses nus, comme ici, dans un bain d’eau douce et de vapeurs odorantes et il arrive même parfois, qu’en regardant ses photos, ces odeurs viennent à nous, sans nous enivrer, mais en berçant délicatement nos âmes blessées.
Jean Jacques Sarfati
Agrégé et Docteur en Philosophie.
Cofondateur de Philosophie Vivante-Université du Lien.
Paris le 4 juillet 2024